Les produits de la mer issus du chalutage de fond peuvent avoir un impact environnemental plus faible que le poulet ou le porc, d’après un nouvel article de revue de la littérature publié hier. Dans l' » ICES Journal of Marine Science », Hilborn et al. 2023 avance que bannir le chalutage de fond augmenterait les impacts environnementaux négatifs en augmentant la production de protéines d’origine terrestre.
Hilborn et al. 2023, a fait la revue d’une douzaine d’articles sur l’impact du chalutage de fond, la durabilité des stocks, ses captures accessoires, son impact écosystémique et son empreinte carbone. Bien que le chalutage de fond soit généralement la méthode de pêche la plus impactante, les pêches au chalut de fond bien gérées produisent de la nourriture avec un impact environnemental bien plus faible qu’aucune protéine animale terrestre.
Un article de revue résume la connaissance actuelle sur un sujet particulier en passant au peigne fin et en présentant les résultats des publications récentes. Dans le cas présent, Hilborn et al. 2023 a passé en revue la littérature existante sur les impacts environnementaux du chalutage de fond et résume quatre impacts majeurs:
- Durabilité des espèces cibles
- Impact sur les écosystèmes benthiques
- Captures accessoires et rejets
- Émissions de carbone
La clé pour réduire les impacts et rendre la pêche durable est la gestion. Le chalutage de fond peut être un moyen de produire de la nourriture à faible impact dans les endroits avec une gestion efficace. Le chalutage de fond peut être très destructif dans les zones avec peu de moyens pour la gestion environnementale (comme beaucoup de nations en développement en Asie).
Dans cet article, on résume ce qui a été trouvé pour les quatre types d’impacts majeurs, on discute ce à quoi ressemble une gestion efficace du chalutage de fond, et on compare l’impact environnemental du chalutage de fond à d’autres formes de production de nourriture.
Durabilité des espèces cibles
De façon collective, le chalutage de fond produit 26% des produits de la mer capturés dans la nature. Les espèces cibles incluent souvent ‘des poissons de fond’ (car ils vivent principalement sur le fond) comme le cabillaud, le lieu jaune, le merlu, et beaucoup d’espèces de poissons plats. En moyenne, les populations de poissons de fond mondiaux sont en augmentation et au-dessus des niveaux cibles; voir la Figure 1 ci-dessous. Hilborn et al. 2023 rapporte que 50% de la pêche de poissons de fond dans la base de données héritage de RAM (suivie via les évaluations de stock) sont certifiées par le Marine Stewardship Council—le standard international de durabilité le plus robuste.
Ceci ne veut pas dire que toutes les populations se portent bien—beaucoup de stocks en Méditerranée sont sous les niveaux cibles à cause de la surexploitation, d’un échec de gestion, pas forcément de l’engin de pêche.
Cependant, presque toute la pêche des poissons de fond du monde est suivie avec une évaluation de stock. Un suivi cohérent est sans doute la partie la plus essentielle de la gestion durable de la pêche.
Mis à part les poissons de fond, beaucoup d’invertébrés sont capturés au chalut de fond ou à la drague. Plus de données sont nécessaire pour ces stocks; il n’existe pas d’indicateur mondial pour les tendances d’abondance pour ces espèces.
Impact sur les écosystèmes benthiques
L’impact du chalutage sur le fond de la mer varie avec la zone et le type d’engin, mais il est principalement déterminé par trois métriques:
- La fréquence du chalutage
- Le taux de déplétion (quel pourcentage d’invertébrés benthiques est tué par chaque chalutage)
- Le taux de récupération des organismes natifs après un chalutage
La plupart du chalutage est fait sur du gravier, du sable ou de la boue, avec des taux de déplétion allant de 4.7-26.1% en fonction du type de chalut. Les auteurs rapportent des taux de récupération de 29-68% par an, en fonction du substrat. Le gravier a un taux de récupération beaucoup plus lent que la boue, mais cela est plutôt du à la nature des espèces longévives qui préfèrent le gravier, qu’au gravier en soi. La gestion des impacts du chalutage sur les fonds marins se résume à laisser un peu de temps à la zone de pêche pour récupérer.
L’an passé, une évaluation mondiale s’est lancé dans la modélisation du statut benthique relatif (relative benthic status, RBS) d’écosystèmes benthiques de 24 régions à travers le monde. Elle a trouvé que 15 des 24 régions (la plupart étaient en dehors de l’Europe) avait des scores de RBS au-dessus de 0.9, ce qui signifie que la région était à plus de 90% intacte. La région avec la performance la plus faible était la mer Adriatique en Méditerranée, avec un score de RBS de 0.25. Cependant, « sur toutes les régions, 66% du fond de la mer n’était pas chaluté, 1.5% était effondré (statut = 0), et 93% avait un statut > 0.8 ».
Une étude similaire a spécifiquement modélisé les invertébrés benthiques et a trouvé des taux de distribution allant de 0.86 à 1 avec une moyenne de 0.99. La grande majorité des groupes d’espèces avait un statut supérieur à 0.95, pourtant encore une fois, les régions européennes avaient les scores les plus bas.
Le chalutage de fond peut avoir un impact sévère sur des espèces sensibles comme le corail des profondeurs et les éponges. Les taux de récupération pour ces espèces sont de l’ordre des décennies et du siècle, il y a donc un consensus général que le chalutage devrait être interdit dans la plupart des zones qui comportent ces espèces.
Captures accessoires et rejets
Le chalutage de fond a généralement le taux de captures accessoires et de rejet le plus haut de toutes les méthodes de pêche. Pourtant, la tendance s’est améliorée sur plusieurs décennies—les captures accessoires et les rejets sont moins de la moitié de ce qu’ils étaient dans les années 1980.
Les auteurs notent qu’une amélioration de la sélectivité des chaluts et une réduction de l’effort de pêche “a contribué à la réduction des rejets dans beaucoup de pêches chalutières en Europe, Amérique du Nord et Australie.“ De plus, un plus grand nombre d’espèces sont utilisées à la place d’être rejetées, particulièrement en Asie du Sud-Est et en Amérique Latine.
Les rejets constituent un réel gâchis de nourriture et de ressources. Leur réduction est important pour la planète, bien que les espèces doivent aussi être elles-mêmes en bonne santé.
Émissions de carbone
La production de nourriture et l’agriculture sont responsables d’un tiers de toutes les émissions de carbone de la planète. Les émissions de la production alimentaire terrestre proviennent principalement du changement de l’utilisation des terres—ce qui fut un temps une forêt qui stockait le carbone est maintenant devenu des champs de monoculture. Les ruminants comme les vaches, chèvres et les moutons constituent généralement les aliments les plus coûteux en carbone de la planète à cause du méthane produit par la rumination.
Les produits de la mer ont généralement l’empreinte carbone la plus basse des protéines animales. La production des produits de la mer ne requiert pas de changement de l’utilisation de la terre, et il n’existe pas d’espèce notablement productrice de méthane. À la place, la majorité de son empreinte carbone provient directement de l’utilisation de carburant.
Cependant, les différents types d’engins de pêche n’ont pas le même besoin en carburant. Traîner un chalut de fond dans l’eau est l’une des façons de pêcher qui requiert le plus d’énergie. Voir la table ci-dessous.
Les auteurs notent, « L’aspect le plus important de ces données est l’importante variabilité entre différents types de pêche et pour un type de pêche donné, ce qui indique que presque tous les types d’engins peuvent capturer du poisson avec une empreinte carbone beaucoup plus basse que la moyenne, et il n’y a pas de méthode qui soit toujours la meilleure.”
Avec des moteurs diesel plus récents et potentiellement hybrides, l’hydrogène, et les bateaux électriques, l’empreinte carbone des produits de la mer va sans aucun doute s’améliorer avec le temps. L’empreinte carbone de la production alimentaire terrestre va au-delà de la simple efficacité en carburant-la décarbonation sera beaucoup plus difficile.
Vous avez peut-être vu les titres qui disent que le chalutage de fond émet autant de carbone que le transport aérien. Ces revendications étaient fondées sur de la science inexacte et sont fausses—vous trouverez ici nos explications là-dessus.
Mesures de gestion pour réduire les impacts
Comme toute gestion de ressource, la gestion de la pêche tient compte des compromis environnementaux, économiques et sociaux.
La gestion efficace du chalutage de fond commence par s’assurer que les espèces cibles ne sont pas surexploitées. Trop d’effort de pêche mène à plus d’impacts benthiques et de captures accessoires et produit moins de nourriture par kg de CO2. Un suivi par évaluation de stock couplé avec la mise en place et le contrôle d’un Total Admissible de Capture (TAC) est la forme la plus simple de gestion efficace.
Des règles de “mouvement” où les pêcheurs doivent changer de zones si ils font trop de captures accessoires ou d’impact sur des habitats sensibles aident aussi à préserver les écosystèmes benthiques.
Une culture collaborative plutôt que la course au poisson peut aussi aider à améliorer le problème des captures accessoires. La pêche des poissons plats dans la mer de Bering a vu les taux de captures accessoires tomber à 6-8 % grâce à la coordination de la flottille en conjonction avec les limites des captures accessoires.
Les captures accessoires ne seront jamais totalement éliminées, mais les rejets pourraient l’être grâce à la réglementation. En 20198, l’UE a bannit les rejets en mer, en demandant aux pêcheurs de ramener à terre tout ce qui était capturé pour que ce soit utilisé d’une façon ou d’une autre. Les captures non désirées sont souvent transformées en farines de poisson, mais des marchés émergents pour des produits de la mer inhabituels peuvent aussi être une solution.
Cependant, le pas en avant le plus significatif dans la réduction des captures accessoires et la conservation benthique viendra avec la technologie des engins et leur amélioration. De nouveaux chaluts peuvent « voler » au-dessus du fond pour réduire le contact avec celui-ci, et des modifications de conception des filets peut réduire les espèces non-désirées. Beaucoup de groupes de pêche travaillent sur des caméras sous-marines installées sur le filet pour que des portes puissent s’ouvrir et se fermer pour éjecter des espèces non-désirées hors du filet. Les portes ont été très efficaces pour réduire les captures accessoires de tortues. Avec une meilleure technologie satellite, les pêcheurs et les gestionnaires peuvent mieux communiquer pour éviter les zones avec de nombreuses captures accessoires.
Comparaison du chalutage de fond à d'autres formes de production alimentaire
En révisant les données de toutes les analyses de cycle de vie (ACV) réalisées sur l’alimentation, Hilborn et al. 2023 montre que le kg moyen de produit de la mer chaluté produit 4.65kg de CO2. C’est le double de l’empreinte carbone du poulet (2.28 kg) mais le quart de l’empreinte du boeuf(19.2 kg).
Les pêcheries bien gérées ont cependant souvent une consommation de carburant bien plus basse, car les bateaux de pêche passent moins de temps à chercher des espèces abondantes. Une des pêches les plus importantes du monde, le colin d’Alaska, ne produit que 0.83 kg de CO2 pour chaque kg de nourriture—facilement l’une des protéines qui a le moins d’impact au monde. La grande valeur de la pêche du colin a permis de faire des investissements dans des bateaux modernes et efficaces qui ont significativement fait baisser la consommation de carburant (le colin d’Alaska est partiellement capturé par des chalutiers pélagiques, ce n’est pas une vraie pêche au chalut de fond à 100%). L’Alaska a parmis les gestions des pêches les meilleures au monde, et Hilborn et al. 2023 estime que toutes les pêcheries d’Alaska au chalut de fond produisent 1.17 kg de CO2 pour chaque kg de nourriture produite. La pêche à la coquille de l’île de Man (1.73 kg) et le hoki et la lingue de Nouvelle-Zélande (2.24 kg) sont aussi rapportées individuellement comme des pêches au chalut de fond bien gérées avec des empreintes carbone basses.
Le chemin pour améliorer l’empreinte carbone des chaluts de fond (et certainement presque toutes les pêches) est d’améliorer l’efficacité en carburant et d’arrêter la surpêche. Les deux ont un chemin réglementaire clair—encourager la modernisation des bateaux et faire respecter les limites de TAC. Hilborn et al. 2023 propose aussi d’éliminer les subventions au carburant qui encouragent la pêche inefficace.
Les émissions de carbone ne sont cependant pas le seul impact environnemental de la production alimentaire. La production alimentaire terrestre a été la première cause de la baisse de biodiversité depuis le dernier astéroïde. Bien que la pêche et le chalutage de fond soient littéralement des activités qui prélèvent de la biodiversité, elles sont bien moins destructrices d’écosystèmes que l’élevage. Une fois que le champ est vidé de sa récolte ou de ses troupeaux, plus de 90% des biota natifs ont été éliminés. Pendant ce temps, la plupart des écosystèmes benthiques gardent 90% de leur état d’avant chalutage. La pêche n’utilise pas non-plus de pesticides, d’herbicides, d’antibiotiques, ou de ressources en eau douce.
Hilborn et al. 2023 conclut que bannir la le chalutage de fond aurait un impact net négatif car les sources de nourriture alternatives seraient plus destructrices. Remplacer toute la nourriture issue du chalutage de fond par du poulet, par exemple, nécessiterait de libérer un espace d’à peu près la taille du Dakota du Sud. Remplacer avec du boeuf nécessiterait deux fois la taille du Mexique. Remplacer avec un mélange d’élevage typique de 30% de boeuf, 33% de porc et 37% de poulet nécessiterait toute la Mongolie.
Bilan: le chalutage de fond bien géré est durable
Après avoir révisé des douzaines d’articles, Hilborn et al. 2023 conclut que le chalutage de fond bien géré est durable.
Le chalutage de fond a été dans le collimateur de groupes de pression depuis des années, mais les arguments pour bannir le chalutage de fond ne sont pas enracinés dans la Science. Qu’est-ce qui remplacerait les millions de tonnes de protéines animales dans l’apport en nourriture ? La réponse est de ne pas bannir le chalutage de fond, mais de construire les moyens de gérer la pêche, spécialement dans les endroits avec une gestion défaillante et non-durable.
Max Mossler
Max is the managing editor at Sustainable Fisheries UW.