Le poisson fourrage est dans la chaine alimentaire le lien entre la production primaire planctonique et les créatures plus familières situées au-dessus. Ce sont des petits poissons pélagiques que l’on trouve sous la forme de grands bancs ou de boules d’appâts. Le hareng, l’éperlan, l’alose, le sprat, la sardine, le maquereau, l’anchois, le menhaden, et les lançons en sont quelques exemples dont vous avez pu entendre parler. À peu près toutes les espèces dont la bouche peut contenir un poisson fourage les mangent (d’où leur surnom, étant du fourrage pour les autres). Tous les types d’oiseaux de mer et de mammifères marins se nourrissent de poisson fourrage, ainsi que plusieurs espèces commerciales importantes comme le thon, le saumon et le cabillaud. Le poisson fourrage lui-même est d’importance commerciale: certaines populations sont exploitées pour en faire de la nourriture alors que d’autres entrent dans une grande industrie, où le poisson est réduit en farine, huile pour nourrir du bétail, des poissons d’élevage et d’autres espèces que les humains trouvent meilleures à manger (et paient plus d’argent pour cela).
À cause de leur importance dans la chaîne alimentaire, comprendre et suivre les populations de poisson fourrage est vital pour la conservation et la durabilité des océans. La bonne nouvelle: Hilborn et al. 2022, un article récent paru dans Fish and Fisheries, rapporte le statut des populations de poisson fourrage sur les 50 dernières années et les trouve stables—la quantité de poisson fourrage est restée cohérente au cours des 5 dernières décennies. Bien que chaque population prise de façon individuelle alterne entre période de haute et de basse abondance, la plupart des poissons fourrages ne sont pas en danger à cause de la surpêche; juste une seule population (le Lançon européen) est bien au-dessus des cibles de surpêche.
Une équipe mondiale de chercheurs ont rassemblé les données sur les populations de poisson fourrage à partir de la base de données héritage de RAM, la base de données la plus complète des évaluations de stocks mondiales, qui représentent 60% des captures de poisson fourrage mondial. Le premier auteur Ray Hilborn (et qui a fondé le présent site) dit, “Notre article dépeint un tableau rempli d’espoir pour le futur du poisson fourrage.” Leur analyse renforce les théories émergentes sur l’écologie du poisson fourrage—que les facteurs environnementaux influencent beaucoup plus le statut de ces populations que la pression de pêche.
Écologie du poisson fourrage
Le poisson fourrage se rassemble dans des zones très productives avec beaucoup de plancton. Grâce aux satellites modernes, on peut voir où sont ces zones. La carte ci-dessous montre les concentrations de chlorophylle dans l’Océan—une mesure de la quantité de plancton dans l’eau. Lorsque vous passez votre souris par dessus la carte, vous pouvez voir comment les zones de fortes de productivité sont corrélées avec de plus grandes captures de pêche et comment les zones de plus faible productivité sont corrélées avec des captures plus faibles.
Le plancton, et donc le poisson fourrage, sont dépendants de la quantité de nutriments dans l’eau. La densité en nutriments est déterminée par différents facteurs environnementaux et géologiques, comme les courants, la température, la salinité et la structure sous-marine.
Les populations de poisson fourrage abondent puis s’effondrent avec le changement de ces facteurs environnementaux (et de bien d’autres qu’on ne comprend pas complètement), mais pas leurs prédateurs. Les prédateurs du poisson fourrage ont évolué en parallèle des cycles d’abondance et d’effondrement avec un comportement de changement de proie—manger une large variété d’espèces, typiquement celles qui sont les plus abondantes. Deux papiers récents n’ont trouvé aucune relation entre les populations de poisson fourrage et celles de leurs prédateurs.
L’article qui a été publié plus tôt ce mois-ci montre comment les populations mondiales de population de poisson fourrage ont fluctué, ou pas, au cours des 50 dernières années. Ils ont trouvé que l’abondance mondiale du poisson fourrage est restée stable alors que les stocks individuels ont eu des cycles d’abondance puis d’effondrement. Les chercheurs reconnaissent un effet portefeuille sur les espèces examinées—une stabilité collective—comme un portefeuille d’actions qui reste stable alors que la valeur des actions individuelles augmente et diminue. Ceci crée des défis étranges de régulation et de conservation. Quelle est la pression de pêche qui doit être appliquée a une population avec des cycles d’abondance et d’effondrement ? Si la pression de pêche a moins d’impact sur une population de poisson qu’on ne le pensait avant, est-ce que les pêcheurs peuvent en obtenir plus de nourriture et de bénéfices ?
Données historiques des populations de poisson fourrage
La pêche commerciale des poissons pélagiques s’est rapidement développée dans les années 1950, mais le suivi fiable des populations ou de l’effort de pêche n’a pas débuté avant les années 1960 et 1970. Sans suivi ou régulation, beaucoup de poissons fourrages étaient surpêchés et plusieurs se sont effondrées, en particulier les stocks de hareng dans l’Atlantique Nord. La base de données héritage de RAM ne capture pas dans le détail le statut de ces stocks avant les années 1970, alors les auteurs de Hilborn et al. 2022 ont choisit de commencer leur analyse à partir de là.
Ils ont aggrégé les données sur 82 stocks de poisson fourrage et, en-dessous, ont présenté les deux métriques les plus importantes pour la gestion des pêches: la biomasse relative et la pression de pêche relative. La biomasse relative est le rapport entre la biomasse mesurée (B) et la biomasse cible (Bcible), souvent appelée rendement maximum durable (Brmd). La pression de pêche relative est le rapport entre la pression de pêche (notée U ou F) et la pression de pêche cible (Ucible ou Urmd). Une bonne gestion de la pêche a pour objectif de garder les rapports de biomasse et de pression de pêche aussi proches que possible de 1. Un rapport de biomasse bas (p.ex., sous 0.5) indique un stock surexploité, alors qu’une pression de pêche exceptionnellement haute (p.ex., au-dessus de 1.5) indique qu’un stock est en surpêche.
La Figure 4 d’Hilborn et al. 2022 montre la biomasse et la pression de pêche relatives pour les stocks de poisson fourrage en 1970-2018. On peut voir que les deux rapports sont proches de 1. Les grandes barres d’erreur illustrent comment les stocks de poisson fourrage peuvent passer d’abondants à effondrés. On peut aussi remarquer comment la couverture des stocks suivis, indiqué par la couleur bleue, a augmenté au cours du temps alors que plus de gouvernements ont dédié du temps et de l’argent à la gestion de leur pêche.
La Figure 4 ressemble à un résultat attendu—pêchez la bonne quantité (proche de 1) et la biomasse sera à la bonne quantité (proche de 1)—mais en regardant de plus près, les auteurs ont trouvé quelque chose de surprenant: il n’y avait presque pas de corrélation entre la pression de pêche et la biomasse !
Ils ont regroupé les poissons fourrage par région FAO et représenté la relation attendue par rapport à celle observée entre la pression de pêche et la biomasse. Dans la plupart des zones, les stocks individuels ne montraient presque aucune corrélation entre la pression de pêche et l’abondance. La région Mediterranée-Mer Noire montrait la relation la plus forte. Plusieurs stocks ont été sévèrement surpêchés à cet endroit—il se peut que les stocks effondrés soient plus susceptibles aux augmentations ou diminution de la pression de pêche.
La zone Méditerranée-Mer Noire mise à part, la relation entre la pression de pêche et la biomasse de poisson fourrage semble aléatoire pour presque toutes les zones. Les auteurs ont trois hypothèses pour expliquer cela:
- La pression de pêche est basse par rapport à la mortalité naturelle (le poisson fourrage est une proie délicieuse)
- Le recrutement, le nombre de larves de poisson qui survit jusqu’à l’âge adulte, est variable et indépendant de la biomasse adulte.
- Les populations sont sujettes à de fortes interactions dans la chaine alimentaire de type bas en haut et de haut en bas.
L’hypothèse 1 a beaucoup de mérite. Les bas niveaux trophiques sont plus abondants et les hommes en extraient un pourcentage plus bas que les espèces des niveaux trophiques plus élevés. Les auteurs disent que “la mortalité par pêche des petits poissons pélagiques est plus basse en lien avec la prédation qu’elle ne l’est pour des espèces de plus haut niveau trophique.” En d’autres termes, les espèces de plus haut niveau trophique meurent plus souvent des mains des hommes que les espèces de plus bas niveau trophique, qui sont habituellement consommées par d’autres espèces ou meurent naturellement. D’autre part, les hypothèses 2 et 3 renforcent les découvertes récentes en écologie des poissons fourrage—ils sont très influencés par les facteurs environnementaux et ont des cycles naturels d’abondance et d’effondrement.
Ces fluctuations naturelles, combinées avec l’effet portefeuille et le fait que la pêche soit une petite proportion de la mortalité totale pour les petits poissons pélagiques, semblent ensemble expliquer le manque de relation entre la pression de pêche et l’abondance… Rien de cela ne dit que la pression de pêche ne doit pas être réglementée, mais les impacts de la réglementation seront moins évidents pour les petits poissons pélagiques que pour les autres groupes fonctionnels.
Le futur de la gestion du poisson fourrage
Si le poisson fourrage répond moins aux interventions de gestion de pêche, comment devons-nous les gouverner ? C’est une question compliquée avec beaucoup de perspectives. Les groupes conservationnistes voient les variations brutales de population, l’incertitude et l’importance du poisson fourrage et poussent pour une approche de la pêche plus précautionneuse, alors que l’industrie voit la stabilité de l’effet portefeuille et le manque de lien à la pression de pêche comme un impératif pour produire plus de nourriture et faire plus de bénéfices.
Les scientifiques dans Hilborn et al. 2022 suggèrent une gestion de pêche dynamique pour accommoder les deux. Des réglementations fortes mais flexibles permettraient probablement une plus grande capture et une plus grande production de nourriture tout en préservant les stocks qui s’effondrent et le portefeuille de poisson fourrage mondial.
N'oublions pas les zones non évaluées
Le principal problème des pêcheries de poisson fourrage n’est pas nécessairement entre les groupes conservationnistes et l’industrie (ou tout du moins l’industrie réglementée)—il réside plutôt dans le nombre de stocks qui ne sont pas suivis. Les données présentées dans Hilborn et al. 2022 concernent la plupart de l’Océan mondial, mais a laissé de côté 40% de la capture mondiale de poisson fourrage, la plupart étant capturée dans les zones d’Asie en développement. Beaucoup de ces pays ne peuvent pas encore suivre leurs pêcheries et surpêchent probablement. La première étape pour discuter de gestion de pêche est d’avoir un suivi.
Malgré cela, Hilborn et al. 2022 dépeint une image optimiste du futur du poisson fourrage. Lisez le papier complet ici, et regardez les articles précédents sur le poisson fourrage en-dessous.
Max Mossler
Max is the managing editor at Sustainable Fisheries UW.